Joshua Ian Hilton se caressa le menton et passa sa main sur sa barbe de trois jours. Dieu qu'il commençait à piquer ! Anouchka le tuerait si elle le voyait dans cet état aussi négligé, aussi éloigné de l'idée dont on se faisait de lui. Mais Anouchka était Anouchka, une irréductible romantique qui était parti en voyage, voir en vacances, dans son vaste pays d'origine. Cette bonne vieille amie qui avait des avis sur tout et qui pouvait débattre de tout. Elle avait toujours été d'une grande franchise avec tout le monde, ce qui lui avait posé de nombreux problèmes par le passé, Joshua en était le premier témoin mais le jeune homme savait qu'on ne la changerait jamais, lui même ne le permettrait pas.
Mais ce n'était pas le moment de repenser à son premier amour devenu amie car c'était bien une autre fille que Joshua avait en tête. Et Dieu, quelle fille ... LA fille qui fait que même passer à ses côtés vous fait frémir d'envie et d'horreur à la fois, qui vous rend à la fois puissant et faible, rêveur et penseur, joyeux et triste, souriant et larmoyant ... Et en ce moment, l'état de faiblesse de Joshua était remarquablement haut, beaucoup trop haut pour un garçon comme lui. C'était un solide, voilà comme les autres le définissaient. Il était fils de bonne famille, il était arrogant, fier, profiteur, taquin, il ne montrait pas ses sentiments, faisait comme ça lui plaisait, ne se laissait attendrir par personne et préférait passer son samedi matin à dormir plutôt qu'à réviser ses cours et chercher du travail. Voilà comment était Joshua Hilton, en apparence. Rien ne l'émouvait, c'était un terre-à-terre de premier ordre et surtout, les filles du lycée savaient que c'était le dernier des romantiques, si ce n'était pas LE dernier. Elles étaient prévenues, elles savaient toutes qu'avec lui, le maximum était un mois, au grand grand maximum deux. C'était juste pour le fun, voilà ce qu'il leur répétait. Beaucoup d'entre elles avaient espéré le faire flancher, qu'il aurait un déclic et voudrait rester avec elle. Manque de chance, ça n'est jamais arrivé, enfin, ça n'était jamais arrivé.
Passage de la main droite dans sa tignasse noire, yeux noisettes dans le vague et ongle de pouce mordillé mécaniquement, l'ensemble montrait bien qu'il y avait quelque chose qui clochait car il était plutôt serein dans son genre. Si son père le voyait, il l'aurait remis dans le 'droit chemin' sans comprendre ce qui était en train de se passer. Appolonia passa soudainement dans son champs de vision. Joshua retourna la tête vers la bonne de la maison qui le regardait bizarrement avec ses draps dans les mains qu'elle ramenait des laveries. Le jeune homme lui fit signe de partir, il n'était pas vraiment pas d'humeur à supporter son accent de l'est. Apolonia comprit le message, après tout, c'était le fils de celui qui la payait un fortune. Alors si elle n'obéissait pas ... Bref. Joshua se retrouvait à nouveau seul, sur la terrasse du manoir, au milieu des arbres. Ses pensées vagabondaient encore à propos de ce qu'il s'était passé la veille. Il s'était passé beaucoup trop de choses pour qu'il y comprenne quelque chose. Était-ce la réalité ? Ce qui s'était passé hier, est ce que ... N'était-ce pas plutôt un vilain tour que lui avait joué ses yeux ? Parce que c'était obligé que ça soit le cas. Ça n'avait pas été la réalité tout simplement parce que ... Joshua ne croyait pas à tout ça. Lorsque sa mère lui racontait des histoires dans son enfance, il écoutait car cela l'aidait à s'endormir mais il n'y avait jamais cru comme tous ces petits camarades. Déjà à cet âge, il ne faisait pas comme les autres ...
Sa tête bascula en arrière et il se mit à observer le ciel bleu avec une désespération palpable. Pour la première fois depuis longtemps, Joshua Hilton savait ce que l'expression être perdu voulait dire. Mais c'était tellement déstabilisant, comme quoi, il n'avait jamais vraiment connu ça. Ça ressemblait au choix ultime : la raison ou le cœur ? Le premier lui disait d'arrêter de penser à ça, que c'était tout simplement ridicule, que c'était un canular et qu'il n'y en avait rien à tirer, et surtout, que cette fille était dingue et qu'elle était comme toutes les autres qu'il avait déjà connu. Seulement, si Joshua se concentrait un peu plus pour écouter ce que son cœur exprimait quand il cognait furieusement dans sa poitrine, ce n'était pas du tout la même chose. En savoir plus ? Bien sûr qu'au fond, il le voulait ? La revoir ? Tout savoir ? Il le voulait plus que tout, mais c'était avouer un certain état de faiblesse et ce n'était pas si facile que ça, surtout pour Joshua Hilton, dont l'arrogance était un maître mot dans les adjectifs de son caractère. Alors maintenant que vas tu faire Joshua ? fit une petite voix à l'intérieur de sa tête. Il eut beau réfléchir, il ne trouva aucune réponse, ni dans l'infiniment bleu du ciel, ni dans ses souvenirs ou quoi que ce soit d'autre. Quelque chose bloquait tout, la peur peut-être ? Non, que restait il alors ? Ah oui, cette chose qu'on nommait plus fréquemment la fierté masculine.

APOLONIA ▬ Monsieur ! Monsieur ! Quelqu'un vous demande !
JOSHUA ▬ Je ne suis là pour personne aujourd'hui Apolonia. Dis à cette personne de partir.
APOLONIA ▬ Mais elle insiste. Elle insiste en disant qu'il fallait que vous discutiez sur ce qu'il s'est passé hier soir.

A ces mots, Joshua eut comme un déclic, comme s'il venait de se réveiller d'un long cauchemar. Il comprit et se leva en quatrième vitesse du siège pour rentrer dans le Manoir. C'est le cœur battant qu'il entra dans le manoir familial pour ensuite se diriger vers la porte d'entrée. Que lui arrivait-il ? A l'idée qu'elle puisse être là, derrière la porte c'était comme si tout son corps réagissait à son envie de la revoir ... Joshua s'arrêta net devant l'entrée comme si on avait appuyé sur le bouton "pause" ou figé. Le souffle court, il effleura du bout des doigts le bois verni de la porte, soudain hésitant et encore plus perdu.

CASSEY ▬ Ouvre la porte Joshua ! Je ... je sais que tu es là ! J'entends ton souffle. Il faut que je te parle, s'il te plaît.

Il hésita une fois de plus, ne sachant que penser et franchement il détestait ça, se sentir perdu. Pour lui qui aimait avoir le contrôle sur tout, c'était assez difficile à accepter. Mais elle était revenue aujourd'hui pour lui parler ? Cela voulait peut-être dire qu'elle aussi avait envie de le voir ? Ah c'était désespérant qu'il pense des choses pareilles. Il fallait en finir avec tout ça, et vite. Joshua ouvrit sèchement la porte et en à peine une seconde, il se retrouva face à elle, à son visage d'ange, à ses longs cheveux auburns, à ses yeux sombres et boudeurs, à ses lèvres pleines, le tout qui faisait bondir son cœur à sa plus grande exaspération, mais il ne montra rien. A la place, Joshua mit son masque d'orgueil et d'agacement habituel.

JOSHUA ▬ Qu'est ce que tu fais ici ? Qu'est ce que tu veux ?
CASSEY ▬ A ton avis ? Oh et puis arrête ton air de gros dur ! Je me rappelle très bien de la tête que tu faisais hier soir tu ...

Cassey Laundry ne put terminer sa phrase car Joshua avait empoigné fermement son poignet au point de lui faire mal.

JOSHUA ▬ Tu n'as raconté ça à personne hein ?
CASSEY ▬ Tu me lâches tout de suite Joshua.

Normalement, il ne l'aurait jamais lâché mais elle avait un regard tellement mauvais à ce moment et en vu de sa manière de se défendre, Joshua dut avouer qu'il était plus prudent de lui obéir sur ce coup là. Alors, il la lâcha sans pour autant la lâcher des yeux. Comment expliquer ce qu'il pouvait ressentir à ce moment ?

CASSEY ▬ Je peux entrer ?
JOSHUA ▬ Oui.

Sa voix était grave, chaude et agréable, il n'en avait jamais entendu de telle avant, enfin venant d'une fille. D'habitude, elles étaient toutes en train de minauder et de rire d'une voix sur-aigüe, alors que la voix de Cassey faisait plutôt penser à un précieux velours venu tout droit du Moyen-Orient. Peut-être fumait-elle ? Si c'était le cas, Joshua ne l'avait jamais vu faire avant, à la sortie du lycée par exemple. Mais il savait de toute façon si peu d'elle. Il s'écarta de l'entrée pour la laisser passer puis, referma la porte à son passage. Le jeune homme la vit observer l'intérieur du manoir Hilton comme si elle le disséquait au rayon X. Joshua lui indiqua poliment qu'elle pouvait retirer son manteau et son sac mais elle déclina son offre. Arrivée dans le salon, Cassey eut un air désapprobateur en voyant Apolonia dans son uniforme de bonne qui lave le parquet. Ce genre de chose n'était pas vraiment ce qu'elle appréciait puisque son truc était plutôt de faire les choses par elle même. C'était une règle d'or chez les Laundry, toujours compter sur soi même quand on le pouvait. Joshua d'un signe de la main demanda à Apolonia de s'éclipser, ce que fit cette dernière sans discuter pour se rendre à l'étage. Cassey eut un mouvement de dégoût en songeant à l'horreur qu'elle éprouvait quand on traitait des humains normaux presque comme des esclaves. Une fois la bonne partie, un certain silence s'installa pendant quelques secondes avant que Joshua ne reprenne la parole.

JOSHUA ▬ Elle a choisi d'être ici.
CASSEY ▬ Tu t'imagines que je vais te croire ?
JOSHUA ▬ Hé ! C'est toi qui me doit des explications je te rappel ! Pas moi !

C'est vrai, Cassey avait presque oublié ce pour quoi elle était venue, c'est à dire s'assurer que ce crétin de Joshua Hilton ferme sa grande bouche de gosse de riche sur ce qu'il avait vu hier soir. Et la chose ne serait pas une mince affaire, elle le savait, à son plus grand désespoir. Malgré tout, Cassey se devait de le faire, ses parents et Matthew le lui avaient répété un millier de fois depuis cette nuit. Il en valait de leur travail, de la survie du monde et des autres. Alors la jeune fille prit une grande respiration et sans attendre l'accord de Joshua, alla s'asseoir sur l'un des canapés en cuir du salon, attendit qu'il fasse de même et lissa sa jupe plissée. Son regard devint tout ce qu'il y a de plus sérieux et fermé, tandis que Joshua l'observait avec impatience.

CASSEY ▬ Que veux tu savoir ?
JOSHUA ▬ Je ... Qu'est ce que c'était ? Cette chose ...
CASSEY ▬ Un goule.
JOSHUA ▬ Un quoi ?
CASSEY ▬ Un goule. Tu me poses une question, je te réponds.
JOSHUA ▬ Mais qu'est ce que ... C'était un gosse de quinze ans !Tu lui as explosé la tête avec un fusil !
CASSEY ▬ Il le fallait ! Il nous aurait dévorés sinon !

Joshua la regarda, cherchant à comprendre mais il se heurta au visage incrédule de Cassey. Le pire de tout ça, c'était qu'elle n'avait même pas l'air de réaliser à quel point ce qu'elle venait de dire était complètement irréaliste. Un goule ? Comment ça ? Mais il se souvint aussi à quel point le visage de ce jeune garçon semblait déformé par la rage, le fait que se mâchoire ait frôlé de si près son épaule. Ce garçon ne tournait sérieusement pas rond ! Il avait voulu le dévorer ! Mais Cassey lui avait explosé la tête sans la moindre hésitation, sans la moindre peur et n'éprouvait pas de remords. Elle avait fait preuve de temps de maitrise hier soir pendant l'attaque ! Et ... si c'était une malade mentale ? C'en était trop. Joshua se leva, assez écœuré parce qu'il venait d'entendre

JOSHUA ▬ Tu es complètement cinglée !

Joignant la parole aux gestes, le jeune homme se dirigea vers le téléphone qui se trouvait à côté de la bibliothèque. Il s'apprêta à téléphoner à la police quand une chose glacée s'abattit sur sa gorge ... Joshua stoppa son geste illico.

CASSEY ▬ Tu enlèves doucement ta main, voilà ... Je n'avais pas fini de t'expliquer certaine chose, alors tu vas gentiment aller t'asseoir.

Joshua n'eut pas besoin de voir ce qu'elle utilisait pour savoir que cette chose, froide et métallique était un couteau. Elle était en train de le menacer avec un poignard dans sa propre maison ! Cette fille ... un vrai cas ... un vrai cas ... Joshua ne put qu'obéir, se sentit mal tandis que Cassey le mena, toujours en le menaçant, vers le fauteuil. Elle semblait parfaitement calme et étrangement, la chose commençait à déteindre sur lui. Une fois assurée qu'il n'allait pas faire de bêtises, Cassey alla s'asseoir à son tour, comme tout à l'heure. En la regardant s'asseoir gracieusement sur le canapé, Joshua comprit avec horreur certaines choses. Il voulait en savoir plus sur elle, plus que ce qu'il avait entr'aperçu hier, plus sur le fait qu'elle sache magner toutes ces armes contre des gens sans la moindre émotion. Et la pire de tout, il comprit aussi que Cassey Laundry, pour qu'il veuille en savoir plus, avait de l'emprise ... sur lui ! Ses sombres prunelles sombres et méfiantes l'observaient, comme s'il bougeait d'un centimètre, elles allaient lui sauter dessus.

CASSEY ▬ Je n'ai pas le choix, je dois t'expliquer les grandes lignes ... Je suis chasseuse Joshua, comme toute ma famille. Et ce qu'on chasse, ce sont les démons.